La startup fondée par Elon Musk veut connecter le cerveau humain à l’ordinateur. Si l’objectif médical séduit, les implications éthiques et philosophiques inquiètent. Entre soin, pouvoir et transhumanisme, Neuralink ouvre une nouvelle ère — celle de l’humain augmenté. Mais à quel prix ?
Et si nos pensées pouvaient être traduites en données ? Si nos souvenirs pouvaient être sauvegardés, nos émotions analysées, nos intentions anticipées ? C’est le pari — audacieux et controversé — de Neuralink, la startup fondée par Elon Musk en 2016. Son ambition : créer une interface neuronale directe entre le cerveau humain et les machines. Le dispositif, baptisé “Link”, est conçu pour lire et émettre des signaux neuronaux. À terme, il pourrait permettre à une personne paralysée de contrôler un ordinateur par la pensée, ou à un patient atteint de troubles neurologiques de retrouver certaines fonctions motrices.
Mais derrière cette promesse médicale se dessine une vision bien plus vaste : celle d’un humain fusionné avec l’intelligence artificielle. “Si vous ne pouvez pas battre l’IA, fusionnez avec elle”, affirme Musk, qui voit dans Neuralink une réponse à la montée des machines intelligentes. Cette perspective transhumaniste soulève des interrogations majeures. Le neurochirurgien Rafael Yuste, co-initiateur du projet BRAIN aux États-Unis, avertit : “Nous devons encadrer l’interface neuronale avant qu’elle ne devienne une interface commerciale.”
Car l’interface cerveau-machine n’est pas qu’un outil thérapeutique. Elle devient un vecteur de pouvoir : celui de lire les pensées, d’influencer les comportements, de collecter des données mentales. Qui contrôle cette technologie ? À quelles fins ? La chercheuse Kate Crawford, spécialiste des enjeux sociaux de l’IA, rappelle que “l’IA n’est pas neutre. Elle est façonnée par des intérêts économiques, politiques et culturels.”
Dans ce contexte, la question de la souveraineté cognitive devient centrale. Peut-on breveter une pensée ? Peut-on vendre un souvenir ? Peut-on manipuler une émotion ? Neuralink incarne une tension fondamentale : celle entre progrès thérapeutique et dérive technologique. Restaurer la parole à une personne paralysée est un miracle.
Mais augmenter la mémoire, la concentration ou la vitesse de calcul d’un individu soulève une autre question : sommes-nous encore humains si nos capacités sont artificiellement amplifiées ? Le philosophe Yuval Noah Harari parle d’un futur où l’humain devient “hackable” — piratable, modifiable, optimisable. Ce futur n’est plus une fiction. Il est en cours de prototypage.
D’autres entreprises comme Synchron, Blackrock Neurotech ou Kernel explorent aussi le cerveau connecté. Mais c’est Neuralink qui cristallise les débats, par son ambition démesurée et son fondateur médiatique. L’enjeu n’est pas seulement technologique. Il est philosophique, politique et culturel. Il nous oblige à redéfinir ce que nous considérons comme “humain”, “naturel”, “libre”. Et peut-être à poser cette question, avant qu’il ne soit trop tard : à qui appartient notre esprit ?
Réflexions sur le futur