À l’heure où les données gouvernent les économies et les sociétés, l’Afrique francophone se trouve face à un choix historique : rester consommatrice des technologies étrangères ou devenir architecte de son propre avenir numérique.
Derrière les discours sur l’innovation, une bataille silencieuse se joue — celle de la souveraineté. Les données sont devenues le pétrole du XXIe siècle. Elles alimentent les algorithmes, orientent les politiques publiques, façonnent les imaginaires. Dans ce contexte, l’Afrique ne peut plus se contenter d’être un terrain d’expérimentation ou un marché passif. Elle doit devenir un acteur stratégique, capable de définir ses propres règles du jeu numérique.
Des initiatives comme Smart Africa, Ghana.gov, ou le Kenya Digital Economy Blueprint témoignent d’une volonté politique croissante de reprendre la main. Mais cette ambition reste fragile, confrontée à des dépendances structurelles, à des infrastructures inégales, et à une domination technologique venue d’ailleurs.
La souveraineté numérique ne se décrète pas. Elle se construit, patiemment, à travers des choix techniques, juridiques, éducatifs. “Ligne par ligne, code par code”, comme le rappelle Nnenna Nwakanma, ancienne directrice de la Web Foundation et figure de la gouvernance numérique africaine.
Cela implique de développer des centres de données sur le continent, de former des ingénieurs capables de concevoir des solutions locales, de créer des régulations
adaptées aux réalités africaines.
Cela implique aussi de penser le numérique en lien avec les langues, les cultures, les usages — et non comme une simple importation de modèles occidentaux.
Car derrière la question technique se cache une question politique : qui contrôle les infrastructures ? Qui possède les données ? Qui décide des normes ? Aujourd’hui, la majorité des plateformes utilisées en Afrique sont étrangères.
Les données des citoyens africains transitent par des serveurs situés hors du continent, échappant souvent aux juridictions locales. Cette situation crée une asymétrie dangereuse, où les États africains perdent leur capacité à protéger, à réguler, à anticiper. Mais le numérique peut aussi devenir un levier d’émancipation.
Il peut permettre de renforcer la transparence, de moderniser les services publics, de stimuler l’innovation locale. Il peut offrir aux jeunes générations des outils pour créer, pour s’exprimer, pour entreprendre. À condition que les politiques numériques soient pensées comme des stratégies de développement, et non comme des gadgets électoraux ou des dépendances technologiques.
La souveraineté numérique africaine est donc à la fois un rêve et une stratégie. Un rêve, parce qu’elle suppose une vision à long terme, une mobilisation collective, une réinvention des modèles. Une stratégie, parce qu’elle exige des choix concrets, des investissements ciblés, une diplomatie technologique affirmée.
L’Afrique francophone a les talents, les idées, les ressources pour bâtir un modèle numérique qui lui ressemble — plurilingue, inclusif, éthique, résilient. Mais le temps presse. Dans un monde où les puissances numériques redessinent les frontières, l’Afrique ne peut plus attendre. Elle doit coder son avenir, avant que d’autres ne le codent à sa place